L’état des passions et l’état de pureté sont côte à côte, ils sont semblables, mais différents. Quelqu’un de pur doit toujours faire face à ce qui n’est pas pur. C’est pourquoi l’on dit que le ciel et l’enfer sont proches l’un de l’autre. Nous devons toujours être vigilants et instamment nous en remettre à la grandeur de Dieu. (Bapak, Leicester, le 8 juillet 1970)
Dieu sait chaque seconde où vous en êtes. Il le sait, c’est ainsi (Bapak, Hambourg, le 20 juillet 1970)

Un groupe d’amis vivait dans une ville. Une dizaine d’hommes et de femmes, de parcours et d’âges divers, qui partageaient un même amour pour Dieu. Quel que soit la saison et les circonstances, ils se retrouvaient chaque semaine pour pratiquer la dévotion qui éclairait leurs âmes. Malgré leurs singularités, un sentiment fraternel les unissait, et ils appréciaient chaque fois le plaisir de se revoir. Éloignés les uns des autres, ils louaient pour leurs rencontres, un local de dimensions modestes mais suffisantes, dans une rue calme d’un quartier du centre.
A, L’un d’entre eux, se distinguait par sa vivacité, son éloquence, et le charme de sa personnalité. Il suscitait naturellement l’assentiment enthousiaste des autres, jusqu’à apparaitre indispensable à leur association, qu’il menait de fait. B, un ami proche de A, vivait seul dans une autre ville. Il venait à l’occasion le visiter et communier avec les amis. Un jour, A décida qu’il était temps d’abandonner leur location et d’acquérir une maison, que le groupe pourrait investir à sa guise. Il convainquit ses compagnons de son projet et persuada B, qui possédait quelque argent, de participer au futur achat. ils consultèrent les agences immobilières et choisirent les annonces intéressantes. Un samedi matin, A, B, accompagnés de deux autres amis, prirent une voiture, et traversèrent la ville jusqu’à atteindre les faubourgs. À une quarantaine de kilomètres, ils visitèrent une première maison. Entourée d’un jardin arboré, construite en brique, coiffée d’un toit de tuile, elle s’ouvrait sur un intérieur paisible et confortable. Ils l’explorèrent longuement, A imaginant l’usage et l’aménagement de chaque pièce. Plus tard, ils reprirent la route, à destination d’une seconde maison. Celle-ci, blanche, isolée, se dressait sur plusieurs niveaux. A refusa d’y entrer, estimant qu’elle n’était pas appropriée. Les autres la visitèrent sans enthousiasme. En fin d’après-midi, ils revinrent à la ville. Dans la voiture, A déclara que la première maison était le bon choix et qu’il fallait l’acheter. Les quatre compagnons se rendirent à l’agence, et après lecture du contrat d’achat, B signa sans hésitation. Le soir était venue lorsqu’ils ressortirent, et l’un d’eux saigna soudain du nez. Le périple de la journée avait été fatigant, et l’incident passé, chacun rentra chez soi. B prit le train pour rejoindre l’autre ville.
La nuit fut difficile. A fut pris de fièvre, et la maladie l’accabla. B dormi peu et se réveilla en proie à l’angoisse. Il s’était engagé dans un achat qu’il n’avait pas les moyens d’honorer. Son pécule lui permettait de vivre au quotidien, mais pas d’acquérir une maison. B vit l’erreur qu’il avait commise. Il avait suivi sans discernement le désir de A, afin de lui complaire. A, dominé par une volonté aveugle, ne s’était pas soucié des possibilités de son ami, et profitant de l’influence qu’il exerçait, avait abusé de sa faiblesse. B n’entrevoyait aucune solution. S’il refusait l’achat, il perdrait une partie de son argent, et serait soumis au discrédit de A et de ses amis.
Quelques jours plus tard, l’agence contacta B. Pour des raisons inconnues, le propriétaire renonçait à la vente. Le contrat était rompu. La providence libérait B. Il remercia Dieu pour la grâce qu’Il lui accordait, et sollicita son pardon. A s’enferma dans le silence, et nul ne sut ce qu’il éprouva. Les deux amis ne se revirent jamais.
Certains dirent que cette histoire était véridique et qu’elle témoignait des passions humaines et de la bonté divine. D’autres affirmèrent qu’elle n’était qu’une invention aux desseins oiseux et inavoués. D’autres encore, jugèrent ce débat inutile, suggérant que cette histoire valait par sa simple existence, et qu’elle résonnait intimement pour ceux qui lui prêtaient attention.
Irfan (texte), Le Caravage (peinture, La vocation de saint Matthieu, détail, 1600)