L’état le plus élevé qu’un être humain puisse atteindre dans sa vie est seulement de devenir un instrument de Dieu. (Bapak, Bandung, 22 mai 1965)

I se préparait, et les difficultés s’accumulaient. Un soir, son fils ainé ressentit les premiers symptômes de la maladie. Le virus de la Covid l’avait atteint. Il s’isola dans sa chambre. Dix jours de fièvre, de douleur, et de fatigue s’écoulèrent au gré du développement de l’infection. I s’assura des dispositions nécessaires, veilla aux soins et besoins de l’enfant. Le garçon dormait beaucoup, mangeait peu, perdit le gout et l’odorat. Il endurait patiemment son état. Au fil du temps et lentement, il se rétablit. Guérit, il rentra chez sa mère. Resté seul, et selon le calendrier prévu, I commença le jeûne du Ramadan. La 4 ième nuit, un rêve l’avertit.
Il voyage, accompagné d’une jeune femme. Ils traversent un paysage à l’aube, et aperçoivent au loin plusieurs ponts ravagés. leurs assises se maintiennent, mais les voies qu’elles soutenaient ont été dévastées, brulées. Désormais, chemins de fer, routes, et rivières ne peuvent plus se croiser. Plus tard, lui et sa compagne s’approchent de l’entrée d’un tunnel ferroviaire. L’étroite galerie renferme une voie à sens unique. Y pénétrer est dangereux, car un train peut survenir à tout moment, et la paroi offre peu d’abris pour se protéger. Un homme enferme dans le creux d’une poutre en bois, un document lié à la personnalité de I. L’homme clos le couvercle et inscrit un nom dessus, puis dépose la poutre sur un tas d’autres amassées sur la voie. Lorsque le train passera elles seront emportées. Plus tard, I retrouvera la poutre et le précieux message qu’elle contient.
Le lendemain, il ressent à son tour les marques de l’infection. Fièvre, migraine, fatigue, toutes intenses, envahissent son corps. Face à cet ébranlement imprévu, I interrompt le jeûne. Les jours qui suivent l’éprouvent continument. Un irrépressible besoin de dormir sape sa volonté, annihile sa faculté de penser et d’agir. Incapable de travailler, il délaisse ses obligations. Selon les heures, son corps tremble de froid, des douleurs apparaissent, puis se dissipent. Parfois, il perd la mémoire immédiate, commence une action, puis ne se souvient plus de la suite à lui donner. Les taches les plus ordinaires, se lever, manger, se laver, se coucher, requièrent qu’il rassemble toute sa volonté, suscite le peu de ses forces, afin que péniblement il parvienne à les accomplir. Les nuits, il se réveille plusieurs fois en nage, change draps et vêtements, se rendort pesamment, pour émerger plus tard dans le même état. Des pensées chaotiques traversent son sommeil et recherchent inlassablement une résolution qu’elles n’obtiennent pas. Le réveil matinal rend évident que ce ne furent que cauchemars. Parfois, un rêve isolé l’éclaire.
Le ciel est parcouru de lourds nuages que pousse un vent tumultueux. Soudain, un cercle d’eau claire troue la nuée, au travers duquel apparait le bleu de l’azur. Le cercle se creuse et prend l’aspect d’une belle coupole transparente. Il remarque que le couvert nuageux est parsemé d’autres ouvertures qui possède la même capacité à se transformer.
A présent, un dégout profond l’habite qui le contraint à refuser la plupart des aliments. Cette nausée s’étend bientôt à son environnement matériel. Une nécessité intérieure le presse de se débarrasser des objets et affaires personnels, qu’il considère dorénavant obsolètes, inutiles. Dans les rares moments de répit physique, il abandonne, liquide, l’attirail qui l’encombre. Plus tard, ce sont les souvenirs qui remontent et envahissent ses pensées. Les événements les plus médiocres et pénibles de son passé reviennent et le submergent. Il ressent l’affliction qui fut la sienne, celles des siens, proches et anciens, celle de sa mère anéantie par la maladie, celle de son jeune fils tourmenté par la peur. Il perçoit la lignée sans fin de ses semblables, soumis aux difficultés, à l’échec, à la souffrance. L’éternelle et insupportable condition le saisit de vertige. Las, démuni, impuissant, il renonce et remet la totalité de ce qu’il éprouve à Celui qui la créé et le mène. Le ressort de sa volonté est rompu, ses armes ont chu.
Dès lors, le temps se déroule selon le même lent et sévère cheminement. La maladie progresse. Après les sinus, ses bronches sont désormais touchées. Dans le profond remuement dont il est l’objet, il perçoit néanmoins que le corps résiste, qu’un travail intérieur s’élabore dont fièvre, fatigue, et douleur ne sont que l’écho. Le mouvement intime persiste à soutenir son être. Il écoute sa monture, s’accorde à ses besoins et ses limites. Par la fenêtre, il voit le printemps qui se déploie. Les feuilles remplacent peu à peu les fleurs et leurs teintes vertes s’affirment. Pour l’heure, ce frémissement lui demeure lointain et étranger. Au matin du dixième jour, la fièvre disparaît. L’éprouvante traversée se termine. Des traces perdurent qu’il lui faudra patiemment soigner par la suite. Intérieurement, la table est rase, les outils sont rangés. Il ouvre la porte. Continuer lui est donné.
Irfan (texte et dessin)